La société est de plus en plus violente? Ça dépend
Publié pour Science-Presse - 12 février 2025 - On peut lire le texte ici
Vivons-nous dans un monde plus violent qu’avant? Même si les médias en donnent l’impression, lorsqu’on considère l’évolution à long terme, soit celle des dernières décennies, la criminalité est plutôt en net recul, constate le Détecteur de rumeurs.
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Ce qui a changé sur le court terme, soit en gros depuis la pandémie, c’est une hausse des crimes avec violence, tant aux États-Unis qu’au Canada. C’est ce qu’indique l’Indice de gravité de la criminalité (IGC) publié chaque année par Statistique Canada. Cet indice mesure le taux de crime pour 100 000 habitants, pour les infractions au Code criminel. Or, si on ne tient compte que de l’IGC avec violence, celui-ci a augmenté de 2% de 2022 à 2023, pour une troisième année consécutive, pour s’établir à 99,5.
« On note une légère augmentation récente des décharges d’armes à feu sans victimes et des tentatives de meurtre à Montréal, le phénomène touchant aussi d’autres grandes villes sur le continent », explique Francis Langlois, membre associé de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand et spécialiste des politiques liées aux armes à feu.
Et pourtant, si on considère plutôt l’évolution à long terme, la société est moins violente que jamais, analysent les chercheurs. « La violence sous toutes ses formes est à un creux historique, malgré de légères augmentations récentes », commente Ted Rutland, professeur à l’Université Concordia, spécialiste de la justice sociale. « Pour mesurer la violence, il faut regarder sur le long terme: elle est moins élevée qu’il y a 30, 20 et même 10 ans. »
C’est ce qu’indique cette fois l’IGC en général. Depuis 1998, l’IGC a diminué de 118,8 en 1998 à 80,5 en 2023 au pays.
Montréal, moins violente
C’est également le cas au Québec. M. Rutland pointe vers les statistiques des homicides colligées par Statistique Canada. Le taux d’homicide par 100 000 a ainsi diminué, passant de 2,37 pour le Canada en 1990 (2,63 pour le Québec) à 1,95 en 2020 (1,01 pour le Québec). Sur l’île de Montréal, on enregistrait 33 homicides en 2023, contre 41 en 2022. Entre 2011 et 2022, on y répertoriait 28,4 homicides en moyenne par année, ce qui représente un taux de 1,19 par 100 000 habitants.
Montréal est une ville moins violente que Toronto, Winnipeg, Regina ou Edmonton, observe Irwin Waller, professeur émérite à la faculté de droit de l’Université de Toronto et expert des droits des victimes de crimes violents. Ainsi, à Winnipeg, le taux d’homicide est de 5,04 par 100 000 habitants (contre 3,06 à Edmonton et 1,73 à Toronto).
Cela dit, sur le long terme, la criminalité est en baisse partout en Amérique du Nord, constate Francis Langlois. Par exemple, aux États-Unis, le taux d’homicides est passé de 10 à 5,5 pour 100 000 habitants entre 1990 et 2023, selon la firme AD Datalytics, à partir de données du FBI.
Baisse des homicides
En matière de violence, la statistique la plus sûre concerne les homicides, puisque c’est le délit le plus grave et le plus rapporté à la police. Or, le taux d’homicide est en baisse de 14% entre 2006 et 2023, note Statistique Canada.
Le pic remonte à des décennies, observe Yanick Charette, professeur à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval: le taux d’homicide par 100 000 habitants au Québec était passé de 1 en 1961, à un peu plus de 3,5 en 1976. Mais déjà en 1980, il était redescendu aux environs de 3. En 2023, il était sous la barre des 1,5. « Il y a eu un pic de la criminalité dans les années 1970, dit-il. Depuis, la société a instauré plusieurs mesures pour contrer la violence. »
Le chercheur rapporte également que l’indice de la gravité des délits, au Canada, est en constante diminution depuis le tournant du siècle: il est passé de 118,84 par 100 000 habitants en 1998 à 80,45 en 2023, selon Statistique Canada.
Un bémol
Toutefois, l’indice des crimes avec violence, qui avait baissé de 97,8 en 1998 à 70,7 en 2014, a remonté à 99,45 en 2023.
Au Québec aussi, l’indice des crimes avec violence, qui était passé de 90,4 en 1998 à un creux de 63,9 en 2014, est remonté à 92,7 en 2023.
Le nombre de crimes violents augmente donc au Canada ces dernières années. Est-ce un signe que la violence augmente dans la société? Il est trop tôt pour trancher, selon les experts.
Francis Langlois concède qu’il y a une légère et très graduelle augmentation des homicides en Amérique du Nord, tant en ville qu’en région. Il en attribue la cause à la fin du confinement pandémique et aux réseaux sociaux, qui exacerbent les conflits dans certains milieux, comme les gangs de rue.
Quant à l’augmentation des homicides aux États-Unis, on peut l’attribuer à la prolifération des armes chez nos voisins du sud, un phénomène qui tend à s’étendre ici. « Ce qui a changé, c’est la disponibilité des armes assemblées à la maison avec des composantes de polymères, fabriquées avec imprimantes 3D et des pièces en métal achetées en ligne, note Francis Langlois. C’est très populaire aux États-Unis, mais les policiers canadiens disent que c’est un phénomène marginal chez nous. »