Comment un centre d’achats peut-il se remettre de la perte d’un gros joueur?
Publié sur le blog de Potloc.com, 31 janvier 2019On peut lire l'article ici.La Baie, Sears, Macy’s, Kmart. Les fermetures de grandes surfaces se succèdent à un rythme déconcertant. Pour certains centres commerciaux, ça signifie un arrêt de mort ou un déclin inexorable. D’autres en profitent pour se réinventer avec succès.Quand un centre d’achats perd un gros joueur, ça fait mal. Pas juste en perte de revenus de location, mais aussi en achalandage et en réputation, constate le Commercial Observer. Et le problème perdure jusqu’à l’arrivée d’un nouvel occupant.Dans la plupart des centres commerciaux, les bannières majeures (les anchor tenants) paient des loyers plus bas du fait de leur pouvoir d’attraction. De plus, l’industrie prévoit souvent des clauses de réductions de loyers (co-tenancy clause) en cas de fermeture d’une ou plusieurs grandes bannières, qui compensent pour les baisses d’achalandage et de ventes.Les centres d’achats étaient considérés, depuis les années 1950, comme l’épicentre de la société de consommation, notamment en Amérique du Nord. Plus maintenant. Avec l’étalement sans interruption des banlieues, on en a trop construit aux États-Unis et ailleurs. Depuis quelques années, certains quartiers tombent en défaveur, la migration des populations entraînant la clientèle ailleurs; internet est venu bouleverser les cartes et Amazon fait des ravages. Certains malls ne s’en remettent tout simplement pas : un centre commercial sur trois est appelé à disparaître, affirme le site stores.org.Pour maintenir la profitabilité, les opérateurs de centres d’achats doivent désormais faire preuve de créativité. Et plusieurs sont devenus des maîtres de la réinvention.« Quand un gros centre commercial perd un locataire important, il cherche évidemment à trouver un remplaçant, une autre bannière importante, explique Léopold Turgeon, PDG du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). Si ça ne marche pas, il va subdiviser le local pour pouvoir louer à des commerces plus petits, ou carrément revoir le mix commercial. »
L’univers du commerce de détail change, c’est une évidence. Les détaillants cherchent à diminuer le nombre pieds carrés pour miser sur une expérience client différente.Reprend M. Turgeon
« Celle-ci passe désormais beaucoup par le divertissement, reprend-il. Les opérateurs de centres commerciaux doivent donc adapter l’offre en fonction des nouveaux besoins de la clientèle, ainsi qu’à la concurrence. Ils doivent créer de la vie pour attirer et retenir les clients. Car la clientèle passe de moins en moins de temps au centre d’achat. On leur propose donc des activités nouvelles : plus de restauration haut de gamme, des spectacles, du conditionnement physique, des détaillants nouveaux et intrigants. »
MOINS DE PIEDS CARRÉS
Le modèle classique du centre d’achats (de grandes surfaces qui attirent une bonne part de la clientèle, qui fréquentera ensuite les boutiques) est de moins en moins universel. Certaines grandes bannières s’adaptent admirablement à la mutation du commerce de détail. D’autres en sont rendus au chant du cygne. Mais, partout, le nombre de pieds carrés par magasin tend à diminuer.
La meilleure combinaison pour un commerçant, c’est de combiner les ventes en ligne et en magasin. Mais même chez Apple, les gens veulent venir toucher le produit. C’est humainexplique Joseph Dydzak, propriétaire d’un centre d’achats de Boisbriand.
Ce dernier affirme que le marché évolue très rapidement. Si le petit centre commercial de quartier, avec des services comme un nettoyeur, une pharmacie ou un dépanneur, continue de tirer son épingle du jeu, il en va autrement pour les grands centres d’achats régionaux. « Ils doivent devenir des destinations, comme le West Edmonton Mall ou le Dix30, dit-il. Les États-Unis sont les plus avancés dans cette direction. Ils offrent même des services de voiturier : tu entres à un bout, tu magasines, tu vas au resto, au cinéma, et tu sors à l’autre bout, où ta voiture t’attend à la porte. C’est particulièrement populaire sur les côtes est et ouest. Moins dans l’Amérique de Trump. »M. Dydzak ne voit pas la perte d’un grand joueur comme une catastrophe. « Certains centres ont eu de la difficulté à se remettre du départ de Target au Canada, dit-il. Pour d’autres, ce fut une occasion de se libérer d’un bail désavantageux et de demander plus cher au remplaçant. Car certains syndics responsables de la réorganisation de détaillants en difficulté sous-louent leurs baux à des taux souvent désavantageux pour les opérateurs de centres commerciaux. »Pour M. Dydzak, les locataires qui remplacent une grande bannière sont souvent très différents. Le marché pousse les opérateurs à changer leur approche du marché. Mais ce n’est pas sans difficulté. Certains locaux sont difficiles à rénover ou à réaménager : les plafonds sont très hauts, il y a des étages, il faut refaire des infrastructures. Les transformations coûtent parfois une fortune. Par exemple, certains opérateurs se sont retrouvés avec des planchers en pente lorsque le cinéma a plié bagage.
CHANGEMENT D’ORIENTATION
Mais le repositionnement est souvent inévitable, comme le démontre le centre d’achats Rockland, au nord de Montréal, qui a transformé un immense local vide en food court haut de gamme. Par contre, les grands opérateurs connaissent le marché sur une base continentale et ont un certain pouvoir de négociation et d’attraction envers les bannières à la mode. Les indépendants, avec moins de moyens, doivent malgré tout suivre la parade.Les centres commerciaux passent ainsi progressivement d’un mix de 60% à 70% de détaillants de mode à une proportion de 40% à 50%, et se tournent davantage vers le divertissement, explique SeekingAlpha.comIl faut toutefois y mettre le prix. Par exemple, Irvine Co a mobilisé 150 M$US dans la rénovation de son Spectrum Center de Los Angeles après de départ de Macy’s. Le but : attirer 20 nouveaux commerces, rapportait le Los Angeles Times. L’opérateur a carrément démoli l’immeuble de 140 000 pieds carrés qui abritait Macy’s, y voyant une « opportunité unique de rééquilibrer le centre ». À Québec, les Galeries de la Capitale ont rouvert leur célèbre parc d’amusement intérieur à la mi-janvier, après 1,5 an de travaux de rénovations qui ont coûté 52 millions.Des géants comme General Growth Properties ou Simon Property Group canalisent des centaines de millions pour rénover ou réinventer leurs propriétés, rapporte CNBC, en tentant du même coup d’attirer de nouvelles bannières haut de gamme pour leurs centres situés dans les secteurs « affluents ».Ils n’ont pas le choix : les bannières à succès, de grande taille, ne sont pas légion. Et certains ferment des magasins situés à 10 km les uns des autres. Par contre, les opérateurs ont souvent un avantage indéniable : la valeur et la localisation de leurs terrains. Bâtisses et stationnements géants peuvent être convertis vers des usages qui amèneront de nouveaux clients. Des dizaines de centres commerciaux ont converti d’anciennes grandes surfaces en centres de santé (yoga, gym), cliniques médicales, divertissements interactifs, clubs d’humoristes, parcs à thème, restauration thématique ou espaces à bureaux. Ce sera le cas aux Galeries d’Anjou, stratégiquement situé à l’est de Montréal, où l’ancien Sears sera reconverti en bureaux cette année. On vante les milliers de places de stationnement gratuites et les énormes puits de lumière pour attirer les locataires, qui occuperont 127 230 pieds carrés sur 2 étages. Le propriétaire, Cadillac Fairview, ne considère pas cette conversion comme une solution de repli, mais une façon de diversifier le risque, rapporte La Presse+.D’autant plus que partout dans le monde, une bonne part des clients se stationnent à la porte de la grande bannière, effectuent leurs achats et quittent sans aller dans le centre commercial, jugé trop terne pour s’y aventurer, indique stores.org.
LE SUCCÈS D’UNE MINORITÉ
Selon un rapport cité par CNBC, seulement 20% des centres commerciaux américains génèrent les trois quarts des revenus de l’industrie. Leurs proprios peuvent donc justifier de coûteuses rénovations. Mais les centres commerciaux en défaveur en arrachent davantage. On en répertorie plus de 300 aux États-Unis seulement (sur près de 1000), selon le 2017 Mall Outlook de Green Street Advisors. Une nouveauté : les Américains tentent d’habiter plus près de leur travail, ce qui fragilise davantage certaines propriétés, constate l’organisme.Ils sont donc nombreux ceux qui convertissent leurs énormes stationnements en condos, hôtels, résidences pour personnes âgées, tours à bureaux et même campus universitaires satellites. Ce qui donne un second souffle à la galerie marchande. Le Oakridge Center, de Vancouver, en est un exemple frappant, comme nous le rapportions l’an dernier.Attirer des bannières de restauration plus sophistiquées ou des centres de yoga s’impose d’autant que les grandes surfaces ne sont pas les seules à disparaître : les boutiques elles-mêmes ferment en cascade, la venue de nouvelles bannières ne compensant pas toujours pour les départs de joueurs parfois établis de longue date. L’an dernier, on parlait même de retail apocalypse. Forbes rapporte qu’en 2018, on prévoyait plus de 2600 fermetures de magasins rien qu’aux États-Unis. « Même les contres commerciaux de catégorie A+, qui performent mieux que les autres, font davantage de pertes que de gains à ce chapitre », poursuit Forbes.Une façon d’augmenter l’achalandage réside dans les services de ramassage et de retour de marchandises pour les détaillants qui vendent beaucoup en ligne, ajoute Forbes. D’autres centres vont recréer l’ambiance des anciennes rues principales, en multipliant les commerces locaux, qui vendent des produits fabriqués dans la région immédiate. Plusieurs accueillent des magasins dont les marques sont nouvelles, ou inconnues du public, ou multiplient les boutiques éphémères. Ces formules connaissent un succès étonnant. « Les centres commerciaux doivent se rendre à nouveau attrayants pour leurs communautés », conclut Forbes.Stéphane Desjardins