Quand l’auto sort (lentement) des villes

TODPublié dans Vélo Urbain, avril 2013, page 10

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Comment densifier les villes sans engorger la circulation? Comment faciliter les échanges entre voisins? Architectes et urbanistes planchent sur leurs visions de quartiers où tout peut se faire à pied ou à vélo. 

Déjà, plusieurs citadins québécois ne se déplacent plus qu’à pied, en vélo ou en bus pour aller travailler. À Montréal, en 2010, moins de deux citoyens sur trois conduisaient leur auto pour se rendre au boulot. Et s’il n’en tient qu’aux urbanistes, aux architectes et à un petit nombre de promoteurs, ils pourraient devenir minoritaires. 

Parce que la nouvelle mode, en architecture et en urbanisme, ce sont les TOD, pour Transit Oriented Development. En français, ça signifie développer de nou­veaux quartiers – et même des villes complètes – autour d’un principe issu du Moyen Âge: se déplacer à pied. Ou, par extension, en vélo. 

Selon ce principe, les designers urbains peaufinent le concept de «ville à échelle humaine». Nos voisins nord-américains parlent de walkable cities. Ce qui inclut les transports en commun. 

Plus dense, SVP 
Par exemple, on va bâtir bureaux, usines, garderies, écoles, résidences et commerces autour des stations de métro et des gares de trains de banlieue. Le principe est que les déplacements prennent moins de 15 minutes à pied pour aller à la gare qui mènera au centre-ville, travailler, faire les courses, se divertir, étudier et prendre les enfants à la garderie avant de retourner à la maison. 

Habituellement, ce type de quartier est assez dense. On favorise condos, duplex et maisons en rangée de trois et même quatre étages. La cote du bungalow individuel banlieusard est ici en baisse. Tout comme celle de la voiture. On lui préférera le bixi ou des services tels Communauto. 

Au Québec, certains projets suivent cette tendance, comme le vaste développement prévu sur les anciens terrains de l’hippodrome de Montréal (voir l’encadré à la plage 23), le Village de la gare à Mont-Saint-Hilaire, la zone sud-ouest près de la gare de l’AMT à Saint-Constant, Les Cochères de la gare à Sainte-Thérèse, la Pointe-aux-Lièvres à Québec, le pôle multifonctionnel de Gatineau et, dans une certaine mesure, les Bassins du Havre, dans le quartier Griffintown à Montréal. 

«On retourne vers les noyaux des villes et des villages d’autrefois, alors que le principe d’organisation des espaces publics facilitait les échanges, la convivialité, la mixité des usages. C’est une réaction directe à l’urbanisme de spécialité qui caractérise la période moderne, des années 1950 à aujourd’hui, avec le résidentiel banlieusard, les parcs industriels, les grands boulevards commerciaux et les power centers, tous basés sur l’usage intensif de l’automobile», explique Claude Beaulac, urbaniste et directeur général de son ordre professionnel. 

Échelle humaine 
Bref, on cherche à établir un milieu de vie agréable et humain. «Ils existent déjà dans certains quartiers ou artères de Montréal et de Québec, comme la promenade Fleury, le Plateau-Mont-Royal, Saint-Roch, Outremont, etc. En fait, nous sommes très privilégiés d’avoir conservé ces milieux, poursuit M. Beaulac. Aux États-Unis, à cause de l’effet “trou de beigne”, les grandes villes ont perdu cet art de vivre urbain. Montréal est exceptionnelle en Amérique du Nord.» 

Avec les TOD, on veut renforcer ces quartiers et en créer d’autres, en ville ou, surtout, en périphérie. D’autant plus que le principe attire les jeunes et les retraités. La mode des condos y contribue beaucoup. 

«Les gens veulent se rapprocher de leur travail et de leurs centres d’intérêt, poursuit l’urbaniste. Ils sont écœurés du trafic, des ponts. Les jeunes adultes sont plus urbains que les baby-boomers des années 1970. Ils aiment le vélo, la fébrilité de la vie en ville.» Ils cherchent des milieux stimulants et dynamiques. Ils ont des réseaux sociaux et restent connectés avec leurs proches et leurs amis, qu’ils veulent rencontrer dans leur quartier branché. 

«À l’autre bout du spectre, leurs aînés délaissent leurs bungalows, vidés de leurs enfants, et achètent des condos pour troquer l’entretien de leurs maisons contre des activités plus valorisantes. Et les retraités d’aujourd’hui sont généralement en grande forme. Ils veulent le rester en faisant de la marche et du vélo», précise Claude Beaulac. 

Selon lui, les promoteurs comprennent ces phénomènes et veulent les exploiter. 
L’atomisation des ménages favorise aussi, paradoxalement, des villes plus «humaines». Comme les gens vivent fréquemment seuls ou au sein de couples sans enfants, les promoteurs leur vendent des condos ou des maisons en rangées dans des développements plus denses que les anciennes banlieues. Préférablement près du métro ou du train. 

Autre paradoxe, on construit désormais des condos en plein champ, comme à Belœil ou à Sainte-Thérèse. Car les gens qui vieillissent en banlieue veulent y rester. Mais ils cherchent à s’installer près des gares et des vieux centres-villes qui ont conservé ou retrouvé leurs charmes d’antan. 

Les mentalités changent… lentement 
Pour Claude Beaulac, nous con­naissons un changement complet de mentalité en matière d’urbanisme. «C’est fondamental. Même si, pour certains, la disparition des boulevards Taschereau et autres DIX30 de ce monde se fait encore trop lentement. Mais ces espaces sont appelés à être éclipsés ou à changer de vocation. Aux États-Unis, on connaît une vague de conversion des centres commerciaux et de leurs vastes stationnements en milieux denses et diversifiés.» 

Certains en doutent. «On veut être un village gaulois et une ville nord-américaine, en même temps. On veut garder nos voitures, mais avoir des pistes cyclables et des voies piétonnes. Nous nageons dans nos contradictions. D’au­­tant que, au Québec, les principaux lieux de travail et de résidence demeurent dispersés. Le principe de ville à échelle humai­ne est encore difficile  à appliquer», affirme Odile Hénault, architecte et critique du développement urbain. 

Son opposition au développement du quartier historique de Griffintown par les mêmes promoteurs que le DIX30 de Brossard fut remarquée. Elle reconnaît toutefois que la folie des condos et des projets comme celui du Quartier des spectacles ou certains autres, comme le Lowney dans Griffintown, représentent une forme d’urbanisme vert. 

«Mais le vrai test est le Plateau-Mont-Royal. On y a créé une sorte d’enclave verte, entre l’avenue Laurier, le boulevard Saint-Joseph, la rue Saint-Denis et l’avenue Papineau, où c’est très difficile de circuler en voiture. Les médias ont diabolisé les politiciens locaux. Pourtant, les principaux bénéficiaires sont les résidants. Par contre, certains commerces ont vu baisser leur achalandage, car leurs clients ne peuvent plus se stationner à proximité.» 

L’autre cas à surveiller, selon elle, est à Laval, parce que le métro s’y rend désormais. «Si vous achetez un condo à proximité, le métro passe fréquemment. Ce n’est pas comme à Mont-Saint-Hilaire. Dans ce dernier cas, si vous sortez du bureau au centre-ville de Montréal passé 18 h, vous êtes dans de beaux draps, car il n’y a plus de train.» 

Manque de courage 
Pour Odile Hénault, les politiciens québécois manquent de courage et de vision lorsque vient le temps de favoriser le transport en commun. «La tarification est mal modulée selon les besoins. Et les sociétés de transport sont prisonnières de formats rigides. Dans d’autres villes, on utilise des minibus pour certains quartiers excentrés, on impose des schémas d’aménagement qui s’appuient avant tout sur le transport collectif, on multiplie les formes différentes de trains. Au Québec, il faudrait con­fronter les syndicats, les promoteurs et les compagnies fer­roviaires.» 

Et certains quartiers sont encore rébarbatifs pour les cy­clistes. «Essayez d’aller chez IKEA à vélo. Bonne chance!» s’exclame-t-elle. 

Odile Hénault ajoute que Montréal est tout spécialement prisonnière du succès de son métro. Son caractère souterrain rend son développement très coûteux. Certains quartiers éloignés, excentrés ou enclavés du point de vue des transports, comme Rivière-des-Prairies, Griffintown, l’île-des-Sœurs, Pointe-aux-Trembles, Pierrefonds, Dollard-des-Ormeaux, ou certaines portions des couronnes nord et sud, incluant Laval, devraient être desservies par un réseau de métros de surface. Un système automatisé, aux passages fréquents, comme il en existe à Calgary et Vancouver; et moins cher à implanter que le métro actuel. Québec et ses banlieues sont tout indiquées pour un tel système. 

«J’ai vu le développement de DIX30 avec stupéfaction. On y a construit, autour du centre commercial de type power center, un hôtel, une salle de spectacles, des condos et des townhouses selon un mode assez dense pour la banlieue, avec un simulacre de rue piétonne pour les apparences. Résultat, les gens délaissent les cinémas et les salles de spectacle en ville parce qu’ils fréquentent celles du DIX30 en voiture. Ici, on régresse.» 

Malgré ces critiques, les principes de TOD et de ville à échelle humaine progressent, alimentés chez nous par une fièvre des condos qui ne se dégonfle pas, malgré les avertissements de surchauffe immobilière, depuis des années. «La ville se construit par plein de gens qui ont chacun leurs valeurs et leurs attentes. Car les urbanistes et les élus sont issus de leurs milieux. Mais le changement actuel est fondamental. Les urbanistes des autres grandes villes nord-américaines, notamment ceux de Toronto, sont ébahis de ce qui se fait ici. On peut envisager l’avenir positivement», conclut Claude Beaulac. 

Après les chevaux, le métro et les vélos 
L’annonce a été faite en octobre dernier, lors d’un forum d’échange sur les quartiers de type TOD (Transit Oriented Development) du Grand Montréal. La métropole compte transformer les anciens terrains de l’hippodrome Blue Bonnets en un quartier «sans auto» (ou presque). 

La clé, c’est la station de métro Namur, et un urbanisme favorisant la densité d’occupation, la circulation piétonnière ou cycliste, et la proximité des services. «Nous voulons appliquer les meilleures pratiques pour devenir une référence», annonce Daniel Lafond, directeur de l’aménagement urbain et des services aux entreprises de l’arrondissement Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce. 

Le territoire à aménager est immense: 43,5 hectares (l’équivalent de 75 terrains de football). «On pourrait y construire entre 5 000 et 8 000 logements et accueillir 20 000 nouveaux habitants. C’est plus que bien des municipalités du Québec», a précisé M. Lafond. 

Il faut dire que le secteur en question est déjà aux prises avec un fort niveau de congestion, ce qui rendrait pénible l’ajout de milliers d’automobilistes. D’où l’idée de ce «quartier sans voitures», qui pourrait être le premier du genre au Canada!

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