De l’humain et de l’argent

Laurent GenestPublié dans le magazine Le Mentor de décembre 2012, du Réseau M de la Fondation de l'entrepreneurship On peut lire les articles ici. Financer un repreneur d’entreprise, c’est délicat. Étape complexe d’une transaction où les sentiments dominent, elle prend plusieurs formes selon la nature de l’entreprise, du cédant et du repreneur. Ainsi que du financier lui-même. Dans ce contexte, il faut bien se préparer. Avant même de penser à financer la transaction, il faut la réaliser convenablement. Et la première étape, c’est, pour le cédant, de passer à l’action... dans sa tête ! Car une majorité hésite. « C’est compréhensible. Leur entreprise, c’est toute leur vie. C’est leur seule passion, leur statut social, leur actif le plus important, leur fonds de retraite, leur réseau social », explique Laurent Genest, directeur principal, transfert d’entreprise à la Banque Nationale. À cette dimension s’ajoute les complications, bien humaines, de transmettre l’entreprise aux enfants. Et comme si ce n’était pas assez compliqué, la réglementation fiscale fait en sorte qu’il est encore plus coûteux de vendre à sa progéniture qu’à des étrangers. Une situation dénoncée par plusieurs organismes depuis des années. Comment vendre ? Il y a moins d’émotions en jeu pour le cédant quand il vend à un cadre ou à un étranger qu’à sa progéniture. Et ça se complique quand il a plusieurs enfants : sont-ils tous impliqués dans l’entreprise, doivent-ils être traités équitablement ou de manière égale, doivent-ils avoir les mêmes salaires, le même nombre d’actions, certains devraient-ils quitter l’entreprise, qui est le plus compétent pour la présidence ? Des questions sensibles... Mais le temps file. La progéniture peut passer un signal. Ou la santé se fait plus fragile. Un jour, le cédant va devoir décider... Mais à qui se confier ? À son conjoint, avant tout. Ensuite, il doit en discuter sans attendre à son repreneur potentiel, afin de tester son intérêt. Car de nombreux cédants croient à tort avoir identifié le bon repreneur. Ils sont souvent ébranlés par leur réaction. « Cédants et repreneurs doivent investir dans les bons consultants. Plusieurs s’improvisent experts. Il faut faire attention avec qui on transige », avertit Laurent Genest. Dans ce contexte, le comptable joue souvent le rôle de conseiller principal pour nombre de dirigeants de PME. Il pourra suggérer des pistes de réflexion et des experts. Dont un mentor, pourquoi pas ? Car plusieurs ont connu cette expérience pour le moins intense. Il y a plus de chefs d’entreprises en fin de carrière qu’on ne le croit qui bénéficient du soutien d’un mentor dans des dossiers de relève. Ça prend du temps « Il faut que le cédant se donne ensuite le temps de réfléchir et de planifier. S’il survient des pépins, il pourra changer de cap sans que l’entreprise ou lui-même n’en souffrent, commente Gabriel Nadon, directeur de portefeuille, relève d’entreprise au Fonds de solidarité FTQ. S’il s’est trompé sur les qualités du repreneur, c’est moins difficile pour tout le monde psychologiquement et fiscalement. » Si, par contre, la confiance s’installe et que le cédant et le repreneur se sont entendus sur un plan, on doit ensuite en instaurer le financement. Celui-ci se base essentiellement sur une mise de fonds de l’acheteur et un capital externe, qui prend souvent plusieurs formes : prêt de proches (ou love money), balance de vente du cédant et prêt d’une institution financière. Entre en jeu la banque. « Elle a souvent accompagné l’entreprise pendant des décennies. Soudain, on lui présente un releveur qu’elle ne connaît pas, qui va gérer l’argent que la banque a prêté à l’entreprise. Ça ne sera pas facile de la convaincre », révèle Laurent Genest. Il suggère fortement que le repreneur, qu’il soit le fils, la fille ou la direction, ait travaillé au moins un an au sein de l’entreprise. Un cédant qui finance le repreneur avec une balance de vente va rassurer la banque, poursuit-il. Car, en partageant le risque, il dégage une marge de manoeuvre pour l’entreprise. « Un prêt pour un transfert, ça alourdit le bilan sans aucun retour. Il faut éviter d’asphyxier l’entreprise », ajoute M. Genest, qui a piloté 635 transferts depuis novembre 2008. Pour assurer une marge de manoeuvre encore plus grande, il existe ce qu’on qualifie de capital patient, comme celui offert par le Fonds de solidarité. Il se présente sous forme de dette par débenture ou en capital actions (ou une combinaison des deux) avec un horizon de sortie à long terme. Habituellement, cinq à dix ans, parfois plus. Pourquoi si longtemps ? « Quand on emprunte pour acheter une compagnie, cet argent ne sert pas à son développement et à sa croissance. Il faut donc garder de l’oxygène dans les capacités d’emprunt, pour lui permettre de se développer à long terme, explique Gabriel Nadon. Le repreneur remboursera la banque en premier, ensuite la balance de vente du cédant. Nous arrivons en dernier. Notre rôle, c’est de s’assurer du succès du transfert et de la survie de l’entreprise. Car notre mandat, c’est de maintenir ou créer des emplois. »  

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