Le quartier Dogpatch à San Francisco : occuper l’histoire

Publié dans le magazine Esquisses, décembre 2022On peut lire l'article ici.

Qualifié de laboratoire de design urbain, le quartier Dogpatch de San Francisco transforme des espaces historiques en milieux de travail et de vie hyperbranchés.

Le quartier Dogpatch, zone emblématique de la révolution industrielle américaine située au cœur du secteur historique de San Francisco, comprend une dizaine de pâtés de maisons comptant une centaine de cottages en bois de style victorien et édouardien ainsi que nombre d’immeubles industriels, commer­ciaux et institutionnels bâtis entre 1870 et 1930.
Dogpatch, c’est un peu le croisement entre les shops Angus et Griffintown, à Montréal. Reconnu par l’État comme quartier historique d’importance (significant historic district), le quartier a autrefois été le plus industrialisé de la Californie. En 1854, la première usine califor­nienne de poudre à canon y était construite. Manufactures de cordages et de textiles, raffinerie de sucre, usines de locomotives et de machinerie lourde y ont plus tard prospéré à la faveur des deux guerres mondiales.

Le déclin, la renaissance

Dogpatch a été peuplé majoritairement par des personnes réfugiées du Dust Bowl des années?1940 et par la commu­nauté afro-américaine venue s’y installer après la Deuxième Guerre mondiale. Il a ensuite connu un lent déclin après le départ massif des cols bleus vers la banlieue, rendu possible par la démocra­tisation de l’automobile à partir des années?1950.
De 1965 à 1980, le secteur a aussi subi un exode industriel majeur, au point où les autorités ont envisagé à l’époque de tout raser pour faire place à un nouveau complexe industriel. Mais, depuis les années?1990, architectes et autorités publiques ont reconnu la valeur architec­turale et sociale des immeubles patri­moniaux des lieux.
En 2018, la Ville de San Francisco a adopté le Central Waterfront/Dogpatch Public Realm Plan, qui encadre le réamé­nagement du quartier, tant pour les services que pour l’habitation et les espaces publics. Les autorités prévoient que sa population passera de plus de 3000?per­son­nes, en 2020, à 8000 en 2030. Et le nombre d’unités résiden­tielles bondira de 1500 à 4500 pendant la même période.
Aujourd’hui, les promoteurs s’y arrachent les vieilles usines et les anciens magasins pour les transformer en bureaux destinés aux jeunes pousses du secteur des technologies. Galeries d’art, restos, microbrasseries, cafés et boutiques se multiplient dans ce qui est maintenant considéré comme le secteur le plus cool en ville.

Requalification réussie

Joanne Parent, architecte associée chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux architectes, a récemment visité Dogpatch. «?De nombreux immeubles sont des exemples parfaitement réussis de requalification, souligne-t-elle. La qualité de la reconversion de ces espaces, parfois immenses, est exceptionnelle.?»
Elle a notamment visité d’anciennes usines de la Bethlehem Steel sur le Pier?70, qui logent Astranis, un opérateur et fabricant de satellites de communication géostationnaires, et Gusto, une plateforme en ligne de gestion des ressources humaines.
Les bureaux de ces deux entreprises totalisent plusieurs dizaines de milliers de pieds carrés compris dans des volumes surdimensionnés, remplis de vestiges industriels, comme des ponts roulants, des escaliers à vis en métal ouvragé et des poutres en H où on a laissé un soupçon de la peinture d’origine. La lumière naturelle inonde les lieux, où les plantes poussent avec vigueur.
Siège social de Gusto au Pier 70, San Francisco, Marcy Wong Donn Logan Architects Photo : Joanne Parent
Siège social de Gusto au Pier 70, San Francisco, Marcy Wong Donn Logan ArchitectsPhoto : Joanne Parent
«?J’y ai vu des salles de conférence aménagées dans des cubes qui semblaient flotter dans les airs, de nombreux espaces interactifs, des mezzanines installées sur de spectaculaires structures en métal, souligne Joanne Parent. La volumétrie, la récupé­ration des matériaux d’origine et des artefacts [industriels] créent des décors exceptionnels pour des bâtiments publics. Je constate que nous avons beaucoup de diffi­culté à faire la même chose [au Québec], à cause des exigences de notre Code du bâtiment.?»

Look industriel préservé

Joanne Parent ajoute que le quartier regorge d’immeubles ayant des revête­ments de brique ou de métal, ou des fenêtres à petits carreaux typiques d’une zone industrielle ancienne. «?C’est de la requalification pour vrai, dit-elle. On a refait l’enveloppe au prix de grands efforts pour conserver l’histoire du bâtiment et magnifier sa vocation première, tout en refaisant l’ingénierie pour l’adapter à de nouveaux usages. L’électromécanique est d’ailleurs exposée, ce qui ajoute au design, proche du style loft.?»
Le quartier Dogpatch se distingue aussi parce qu’il est habité par des gens qui ont colonisé les lofts aménagés dans les anciens entrepôts ou les cottages rénovés à grands frais, dans le respect du design d’origine. Touristes, travailleurs et travailleuses, résidentes et résidents se côtoient ainsi dans un environnement victorien semi-industriel?: «?Au lieu de tout démolir, on a requalifié des immeubles abandonnés à leur sort. Il faut célébrer de tels projets?», conclut Joanne Parent.
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