Pholysa Mantryvong a effectué deux pivots pour son entreprise.

Publié sur le site web du Réseau Mentorat, L'Indice entrepreneurial québécois, 25 avril 2022On peut lire l'article ici.

Pholysa Mantryvong a effectué deux pivots pour son entreprise. Et il est encore à la croisée des chemins. Portrait d’un parcours époustouflant.

Pholysa Mantryvong a effectué deux pivots pour son entreprise. Et il est encore à la croisée des chemins. Portrait d’un parcours époustouflant.En pleine pandémie, les autorités demandaient aux gens d’affaires et aux artistes de se réinventer. Pholysa Mantryvong sait parfaitement de quoi il en retourne. À son lancement, en 2015, son entreprise, Enkidoo, proposait une technologie de gestion des inventaires pour les petites PME et les détaillants. Mais M. Mantryvong réalise que la majorité des clients potentiels dépendaient de systèmes informatiques archaïques. La plupart n’étaient même pas dans le nuage. «?Dans ce contexte, c’était difficile d’optimiser leurs systèmes et de les adapter à notre technologie?», explique-t-il.  Puis, la pandémie est arrivée.  Enkidoo s’associe alors à Lightspeed, une vedette québécoise de la Bourse qui offre des solutions de caisse pour le commerce de détail. «On a ainsi converti 1 500 marchands à prix d’aubaine en moins d’un an et demi, pour qu’ils puissent se brancher aux technologies de Lightspeed, dit-il. On parle de très petites PME, parfois d’un ou deux employés. Ces commerces étaient démunis pendant la pandémie. On leur offrait ce genre de travail à un prix imbattable: 1 000$. En échange, nous avions accès à cinq, dix, quinze, vingt ans de données transactionnelles. Elles représentent une mine d’or pour un marchand. Ces clients ne pouvaient pas se permettre de les perdre.» Aujourd’hui, Enkidoo offre ce genre d’implantation au prix du marché, soit beaucoup plus que 1 000$. Et c’est encore abordable pour les nouveaux clients, compte tenu des enjeux technologiques et stratégiques.  Car la technologie d’Enkidoo fait appel à l’intelligence artificielle (IA) pour automatiser la reconnaissance des fichiers et des données d’un commerçant, afin de les convertir en un format acceptable en infonuagique et ouvert aux systèmes de caisse et d’inventaire offerts sur le marché. «Une telle implantation de système, effectuée par une personne, prendrait plusieurs mois, reprend M. Mantryvong. Notre technologie ramène ça à quelques minutes.» 

Nouveau pivot 

Après avoir fait pivoter son entreprise deux fois, M. Mantryvong se retrouve encore à la croisée des chemins. À l’heure actuelle, 95% du chiffre d’affaires est lié aux implantations. Or, Enkidoo a établi une relation de confiance avec ses clients.  « On peut désormais leur proposer notre technologie initiale de gestion d’inventaires, qui va générer des revenus récurrents pour nous et grandement simplifier leur vie, dit-il. C’est une technique d’amélioration de l’offre de vente (upselling). C’est très prometteur pour l’avenir. » Comment est-il passé au travers de la pandémie? « Comme tout le monde, ce fut difficile, reprend M. Mantryvong. On a vécu des hauts et des bas. Nous sommes passés de 10 à 15 nouveaux clients par mois, à 275! Ce fut une expérience très formatrice. Jusqu’à présent, on a changé la vie de plus de 2 000 marchands indépendants. Ils auraient perdu des décennies de données historiques capitales pour qu’ils puissent s’améliorer. On est fiers de ce qu’on a fait pour eux. Mais la pandémie ne sera pas éternelle. Il faut penser aux prochaines étapes. » 

L’écosystème 

En sept ans, l’entreprise, qui compte 13 salariés, a bénéficié de plusieurs accélérateurs : NEXT Canada, FounderFuel, Creative Destruction Lab, MaRS AI de Toronto, Axe IA CDPQ. « Je suis très chanceux d’avoir pu bénéficier de ces appuis, reprend Pholysa Mantryvong. Par exemple, si on s’est concentrés sur les technologies d’implantation, c’est grâce à Patrick Pichette, l’ex-vp finance de Google. Quand un gars comme Patrick Pichette t’offre un conseil, tu l’écoutes!» Mantryvong a 40 ans. Il n’a pas bénéficié des subventions attribuées habituellement aux jeunes entrepreneurs. «Je crois qu’il y a de l’âgisme dans le système, dit-il. J’ai de l’expérience. J’optimisais des chaînes d’approvisionnement chez Pratt & Whitney avant de me lancer en affaires, à la mi-trentaine. L’âge moyen des entrepreneurs à succès est de 40 ans. Limiter l’aide au moins de 35 ans ne fait pas de sens.»Il concède qu’il a eu tout l’appui désiré de la part des accélérateurs et des incubateurs. Mais il reproche à cet écosystème de ne pas faire adéquatement la promotion du mentorat d’affaires. «L’argent n’est pas un problème dans l’écosystème d’aide à l’entrepreneuriat, analyse-t-il. C’est plutôt la santé mentale des entrepreneurs qui est négligée. Pendant l’essentiel de mon cheminement au sein de cet écosystème, on a beaucoup insisté sur la gestion, la croissance, mais on ne m’a jamais parlé de mentorat. Or, les entrepreneurs se sentent souvent isolés. On n’a pas juste besoin de conseils techniques. On a besoin aussi de gérer nos vies personnelles.» Pour Pholysa Mantryvong, le statut de nouvel entrepreneur comporte un lourd fardeau: la croissance, les salaires, le financement, la vente. «J’avais des partenaires, des investisseurs, des employés, poursuit-il. Mais j’étais le seul sur la patinoire. C’est dur sur le moral. On sous-estime cette réalité.» 

Réfugié, fils de réfugié 

Pholysa Mantryvong est le fils d’un couple de Laotiens fuyant la guerre. Il est né dans un camp de réfugiés en Thaïlande. Il incarne le modèle typique d’un enfant d’immigrants qui ont tout sacrifié pour offrir un avenir meilleur à leurs descendants. «Mes parents ont traversé le Mékong à la nage en se faisant tirer dessus par des soldats, raconte-t-il. Ma mère était enceinte de moi et mon père nageait avec ma sœur sur son dos. Au camp de réfugiés, mon père faisait des pitreries pour amuser ses enfants, un peu comme le personnage de Roberto Benigni, dans le film La vie est belle. On est arrivés à Montréal sans le sou. J’ai habité Parc-Extension, Montréal-Nord et Saint-Michel, dans les quartiers les plus pauvres au pays. Mon père fut préposé aux bénéficiaires et ma mère couturière. Ils travaillaient jusqu’à minuit pour payer nos études. Ils n’ont jamais pris une seule journée de congé. Même si on n’a jamais manqué de rien, j’ai compris ce qu’ils enduraient quand j’ai eu ma première paye de dépanneur.» Pholysa Mantryvong a compris sa vocation lors de ses études d’ingénierie à l’Université du Québec à Trois-Rivières, surtout après avoir côtoyé Jocelyn Drolet, un de ses profs qui avait mis au point sa propre technologie de chaîne d’approvisionnement (ERP). «J’ai appris la résilience de mes parents, conclut-il. Je suis parti de tellement bas dans l’échelle sociale que ça ne pouvait que s’améliorer pour moi. Aujourd’hui, je suis fier d’offrir du travail à des Québécois et Québécoises et même à deux Français diplômés des grandes écoles, débarqués chez nous parce qu’ils n’ont pas de travail satisfaisant en France. C’est ma façon de rembourser une dette morale à la communauté qui m’a accueilli et permis que je m’épanouisse.»  

Entrevue réalisée et écrite par Stéphane Desjardins.
Précédent
Précédent

Andreas Rerych est agriculteur bio

Suivant
Suivant

Marianne Lefebvre voit le mentorat comme une expérience humaine et transformatrice