La résidence Ignace-Bourget occupée par une secte religieuse?
Publié sur le site web du Journal des Voisins, 12 août 2021On peut lire l'article ici.Des citoyens du quartier Sault-au-Récollet ont contacté Journaldesvoisins.com, car ils s’inquiètent de la présence d’un organisme religieux, le Chemin Neuf, qui loue la résidence Ignace-Bourget.Cette résidence, sise au 12 350, rue du Fort-Lorette, appartient à la Corporation archiépiscopale catholique romaine de Montréal. Le bâtiment et ses terrains, situés à un jet de pierre de l’Église de la Visitation, donnent directement sur la rivière des Prairies. Le site, qui est inaccessible au public, a longtemps servi de résidence pour des prêtres retraités de l’Église catholique.Depuis quelques années, la propriété est louée à la Communauté du Chemin Neuf Canada, une « communauté nouvelle » issue du mouvement du renouveau charismatique de l’Église catholique.Plusieurs de ces organisations ont été lancées dans la mouvance des réformes initiées dans les années 1960 par les papes Jean XXIII et Paul VI, appelées Vatican II. Elles sont chapeautées par l’Église catholique, mais jouissent d’une certaine autonomie et sont habituellement rattachées à un prêtre et à un curé.Elles connaissent une certaine popularité alimentée par le désabusement de nombreux catholiques, qui ne se reconnaissent pas dans les rituels et traditions de leur église, et dont les paroisses se font vieillissantes et sans relève.Ces nouvelles communautés ont développé des pratiques religieuses plus modernes, mais, paradoxalement, affichent des valeurs sociales très conservatrices. Leurs membres, surtout des jeunes, cherchent des expériences de foi plus dynamiques et une vie communautaire plus intense.C’est le cas du Chemin Neuf, qui a été fondé en 1973 par un prêtre jésuite, le Père Fabre, et qui a pignon sur la montée du Chemin Neuf, à Lyon (d’où le nom). L’organisme compterait près de 2000 membres dans une trentaine de pays, principalement en France. Il aurait une centaine de membres québécois.À Montréal, le Chemin Neuf est dirigé par un prêtre français, Jean-Hubert Thieffry. Nous n’avons pu joindre ce dernier, malgré plusieurs tentatives. La communauté gère aussi une résidence à Rawdon et une autre à Winnipeg.Une secte?
« Plusieurs de ces groupes souffrent du ‘‘syndrome du fondateur’’, explique un expert du monde religieux, qui désire garder l’anonymat. Ce leader se dit en mission, envoyé par Dieu, et choisit personnellement les dirigeants du groupe. Il affiche un regard très critique face à l’Église catholique. Au bout d’un certain temps, il s’installe une certaine distance critique entre les dirigeants et les membres de la base. »
Cette distance est souvent alimentée par le fait que les membres sont « aspirés » par une vie communautaire très intense, où se multiplient rencontres, célébrations et rituels. Comme ces communautés gèrent de gros édifices, qui demandent beaucoup d’entretien, cette situation mobilise davantage les membres.
« Il faut s’occuper des résidences, nourrir leurs occupants et les visiteurs, qui y séjournent continuellement, tant la semaine que la fin de semaine, reprend l’expert. Les membres, surtout les familles avec enfants, finissent par se couper du reste du monde, parce que tous leurs temps libres sont consacrés à leur communauté spirituelle. Il en résulte une certaine fatigue. Parfois, ce genre d’organisation impose un contrôle quasi total de la vie des membres… »
Ce dernier ne croit pas que le Chemin Neuf soit une secte religieuse. Michael Kropveld, directeur général et fondateur de l’organisme Info Secte, affiche aussi une certaine prudence.
« Au fil des ans, on a reçu plusieurs appels à propos de ce groupe, dit-il. Doit-on s’en inquiéter? On n’en connaît pas assez sur cette organisation pour tirer des conclusions. »
Controverse en FrancePourtant, le Chemin Neuf a eu son lot de critiques dans le livre « Les naufragés de l’esprit – Des sectes dans l’Église catholique », de Thierry Baffoy, Antoine Delestre et Jean-Paul Sauzet (éditions du Seuil, 1996), où il est question de graves dysfonctionnements internes, d’exercices contestables du pouvoir, d’illusions dangereuses, d’aliénation de la liberté et d’absence de jugement redoutable. Le livre avance des témoignages d’anciens membres très meurtris intérieurement, voire traumatisés. Le Chemin Neuf s’était d’ailleurs adressé à la justice française pour tenter de bloquer la parution de ce livre.Dans un reportage de 2017, le magazine français Le Point souligne que les autorités françaises n’ont pas retenu le qualificatif de secte, en 2001. Mais le magazine souligne la grande soumission de ses membres aux dictats de leurs dirigeants.
« Le Chemin Neuf n’est peut-être pas une secte, mais il y a certainement des problèmes de cet ordre, y compris au Québec », souligne l’expert de tout à l’heure.
Bien implanté iciDans Ahuntsic, la résidence Ignace-Bourget sert de résidence étudiante depuis 2014, et abrite des jeunes de 18 à 30 ans.
« Que tu sois étudiant ou en stage, il y a un foyer pour toi à Montréal. Un super climat de travail pour les études, de belles rencontres et des temps de formation pour approfondir ta foi », décrit le site internet.
L’organisme propose de construire de vraies amitiés et d’approfondir sa foi chrétienne par diverses propositions : soirées-foyer, festival, groupes de prière, sorties, missions, services, fêtes… Le Chemin Neuf est reconnu pour ses techniques de recrutement et ses activités très modernes, ciblant directement les jeunes, comme des flash mobs et des festivals sous le thème « Welcome to Paradise ». Le site web regorge d’images et de vidéos de gens, tout sourire, qui chantent, dansent et prient en groupe, y compris de tout jeunes enfants.En France, l’Association d’aide aux Victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et leurs Familles (AVREF) décrit une vie communautaire excessive, des abus de pouvoir et des exercices basés sur des privations sensorielles. On y propose aussi du ressourcement psychique et spirituel animé par des membres de la communauté (médecins, thérapeutes et accompagnateurs spirituels) entraînant de la confusion entre les domaines spirituel, psychique et même physique.
« On y cultive une certaine méfiance envers les autorités laïques, ajoute notre expert. Les membres sont peu incités à consulter à l’extérieur de l’organisation lorsqu’ils vivent des problèmes personnels ou psychologiques, ou même à se confesser à un prêtre qui n’est pas membre de la communauté! »