« C’est là que nous sommes intervenus, explique Yvon Dinel, organisateur communautaire au Comité logement d’Ahuntsic-Cartierville (CLAC). Le propriétaire mettait de la pression pour décourager les locataires de revenir après les travaux, mais n’offrait que des compensations ridicules. Le 25 mai, on était sur place et on a constaté qu’aucune rénovation n’était entamée. »
Le chantier se fait attendre. En avril, alerté par le CLAC, l’arrondissement entre en scène et signifie au propriétaire qu’il a jusqu’au 21 mai pour faire une demande de permis de rénovation, et que les travaux doivent être terminés le 14 juin, sinon la Ville de Montréal les fera faire et transmettra la facture au propriétaire. Les locataires se demandent s’ils ne se retrouveront pas à la rue le premier juin. À la dernière minute, le propriétaire soumet une demande de permis de rénovation.En août, le chantier se met en branle. Début septembre, les locataires se font dire par le concierge qu’ils pourront réintégrer leurs logements dans une quinzaine de jours. Mais les délais s’allongent de semaine en semaine. De nombreux locataires se trouvent un logement ailleurs. Certains se font toutefois dire que leur loyer passera, par exemple, de 600$ à 850$, selon un témoignage recueilli par le CLAC.L’organisme apprend d’un inspecteur de l’arrondissement que le courant est rétabli depuis le 23 septembre, mais pas le système d’alarme. Plus d’une dizaine de logements auraient été rénovés.De l’espoirÀ la mi-octobre, le propriétaire confirme que plusieurs logements peuvent être réintégrés et les locataires se rendent alors à l’immeuble. Mais on leur interdit d’y entrer. Une source à l’arrondissement révèle au CLAC qu’on peut apercevoir le plancher d’un logement du deuxième étage à travers un trou du plafond du garage…Le dossier est abordé au conseil d’arrondissement du 9 novembre. On apprend alors que les travaux avancent rondement.Début décembre, huit mois après le sinistre, plus d’une dizaine de ménages logent encore à l’hôtel aux frais des contribuables. En janvier, le CLAC révèle que plusieurs locataires se font offrir de fortes sommes, jusqu’à 2000$, pour résilier leur bail. Le 27 janvier, quelques-uns réintègrent enfin leur logement.Depuis mars, l’organisme prépare un recours juridique et cherche un avocat disposé à travailler pro bono, car les locataires n’ont pas les moyens d’embaucher un juriste.
« On aimerait demander le remboursement de certains frais et des dommages punitifs, reprend M. Dinel. Je constate toutefois qu’en multipliant les délais indus, le propriétaire a obtenu ce qu’il voulait : la grande majorité des locataires ont quitté les lieux, dit-il. Il a le champ libre pour augmenter substantiellement les loyers, qui varient actuellement de 600$ à 850$. »
Pas simpleM. Dinel ajoute que la presque totalité des locataires du 11 945, Lachapelle est constituée de ménages issus de l’immigration. La majorité comprend mal le français ou l’anglais, méconnaît ses droits, vit souvent dans la crainte d’une dénonciation, et subit de l’intimidation en ce sens.
« Ce dossier n’est pas simple, commente Émilie Thuiller, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. Car nous n’avons pas les pouvoirs d’ordonner que des travaux soient effectués rapidement. Nous devons respecter les délais prévus par la loi et ils ne sont pas courts. Mais nous avons surveillé la situation de près et sommes intervenus chaque fois qu’on le pouvait. »
Mme Thuillier confirme que l’arrondissement exige que le propriétaire rembourse les frais d’hébergement à partir du premier juillet 2020 et que la facture n’a cessé de grimper depuis.
« Si le propriétaire ne veut pas payer, on le poursuivra », dit-elle.
La mairesse tire deux leçons de ce dossier : les lois québécoises doivent être modifiées, car elles protègent mal les locataires. Elle ajoute:
« Il faut construire des logements sociaux et abordables hors du marché privé, pour que les locataires à faibles revenus ne soient pas à la merci des propriétaires, pour qui la question de la rentabilité demeure fondamentale. »
Mme Thuillier mise beaucoup sur le nouveau Règlement pour une métropole mixte adopté récemment par l’administration Plante, qui force désormais les promoteurs de nouveaux projets à en consacrer une part aux logements sociaux ou abordables. Mais les effets de ce règlement ne se feront sentir qu’à long terme.Pour les fins de cet article, et malgré plusieurs tentatives, le JDV n’a pu joindre le propriétaire du 11 945, Lachapelle, Aldo Construction, dont le président est M. Aldo Coviello.