Anie Rouleau : l’incroyable force de l’achat local
Publié dans le site web de l'Indice entrepreneurial québécois, 25 mars 2021On peut lire l'article ici.
L’appel à l’achat local durant la pandémie de Covid-19 a été entendu. Consommateurs et entreprises ont massivement acheté québécois et canadien. Anie Rouleau espère que ça va durer, pour maintenir des emplois ici et sauver la planète.
Q. Qu’est-ce que The Unscented Company?
Anie Rouleau a fondé The Unscented Company en 2011 avec l’espoir de redéfinir la notion de propreté, en offrant une gamme de produits nettoyants et corporels biodégradables, efficaces et sans flagrance. L’entrepreneure se lançait à l’assaut d’un secteur de l’économie à l’origine d’un des plus grands fléaux environnementaux de l’histoire : la bouteille de plastique. Elle vend donc ses produits partout au pays dans des contenants réutilisables et remplissables; 20% de ses ventes sont réalisées en ligne. Depuis l’an dernier, elle effectue une percée dans le nord-est des États-Unis. On peut acheter ses produits chez les petits détaillants ou des bannières de produits naturels, comme Avril, Tau, Rachelle Béry, ainsi que dans les grandes surfaces comme IGA, Canadian Tire, Jean Coutu et autres géants de la distribution alimentaire.
Q. Depuis un an, comment résumes-tu ta vie d’entrepreneur?
J’ai eu de la chance de proposer un produit prioritaire en temps de pandémie! On n’a pas manqué une minute de temps de travail. D’autant plus que le gouvernement a lancé un cri du cœur en faveur de l’achat local et les gens ont suivi le mot d’ordre. Mieux : pendant un certain temps, les consommateurs ont craint de manquer de produits, alors ils ont commandé de grandes quantités. C’est justement ce que je propose depuis huit ans. J’ai pu mousser ma mission d’entreprise ainsi que mon concept : les gens ont acheté massivement des stations de remplissage en ligne. J’ai donc connu une croissance en accéléré. Et je venais d’établir mon réseau de distribution en fonction de principes de développement durable : tous mes fournisseurs sont situés à moins de 500 km de mon usine. Ils n’ont jamais manqué de travail et je n’ai jamais à court de composants ! La pandémie m’a permis de confirmer une de mes certitudes : si on mise sur l’achat local, auprès de PME qui ont des fournisseurs québécois, on encourage le développement durable.Évidemment, je n’avais pas envie de célébrer malgré le succès que nous connaissions, car je voyais partout autour de moi d’autres entrepreneurs souffrir. Mais j’ai quand même payé mon loyer, mes factures, et donné beaucoup de travail à mon écosystème.
Q. Comment s’est déroulée cette dernière année sur le plan personnel?
Comme entrepreneure, je n’ai pas trouvé ça trop difficile. On était rendus à une étape où nous nous étions organisés pour assumer une certaine croissance. La principale difficulté fut d’assurer la santé de mes employés, car, de mars à mai, nous n’avions aucune consigne claire de la santé publique. Puis, on a eu un cas de covid au sein de l’équipe : il a fallu fermer pendant 48 heures et tester toute l’équipe. Mais comme nous étions dans un secteur prioritaire, on a eu les résultats au bout de quatre heures. Ça m’a impressionnée.De plus, le confinement a pesé du point de vue de la santé mentale : certains membres de l’équipe avaient besoin d’accompagnement. Et c’était encore plus difficile s’ils avaient des enfants à la maison.La conciliation travail/famille en pleine pandémie, quand on travaille hors de chez soi, ce n’est pas évident. Mes deux enfants étaient trop jeunes pour rester seuls à la maison. J’ai dû organiser un horaire entre plusieurs membres de la famille, qui se relayaient quotidiennement.Je n’ai pas vraiment souffert mentalement pendant la dernière année, mais ça n’a jamais été simple. Je me considère hyper chanceuse : mes deux enfants vont dans deux écoles différentes et ils n’ont jamais manqué un seul jour d’école!Comme nous étions dans un secteur prioritaire et qu’il fallait satisfaire la demande, le télétravail était hors de question. On m’a dit qu’en tant que patronne, je pouvais travailler à distance, alors que j’avais les deux mains dans la production et la coordination. Beaucoup de gens ne comprennent pas à quel point ça peut être compliqué quand on est en affaires. J’ai alors gardé profil bas. Je commence à peine à parler de mon expérience…
Q. As-tu eu du soutien, notamment gouvernemental, et a-t-il fait une différence?
Dès le début de la crise, j’ai fait des démarches auprès de mon institution financière (la Banque Royale), d’EDC et de la BDC. Ils ont rapidement réagi en offrant toutes les informations pertinentes pour passer au travers. J’ai eu droit à un moratoire sur mes emprunts (capital et intérêt).L’appel à l’achat local de la part des gouvernements nous a beaucoup aidés : j’espère d’ailleurs que ça a changé les cultures dans le milieu des affaires et chez les consommateurs. Par exemple, des géants comme Bell et Énergir ont commandé des produits chez nous, des savons par exemple, pour leurs employés.Sinon, je n’ai pas bénéficié de programme d’aide directe, comme des prêts ou des subventions. Je ne me suis même pas informée : on n’en avait pas besoin. Le gouvernement n’est pas un puits sans fond : ces programmes doivent avant tout servir aux entreprises qui doivent survivre à la crise.
Q. En date d’aujourd’hui, comment résumer la situation de la compagnie?
Les pics de demande qu’on a connus durant la pandémie ont cessé. Mais la compagnie a été structurée pour assumer une certaine croissance, qui est redevenue normale. Les consommateurs ont découvert la marque et ils ont continué à l’acheter. Notre chiffre d’affaires est passé de 2,5 millions en mars 2019 à 7 millions en mars 2020. On ne doublera pas cette année, mais on sera proche…
Q. Quels furent les changements pour ta compagnie avec la Covid-19?
Avec l’achat local, les grandes surfaces comme Loblaws ont toutes listé nos produits en un temps record. Normalement, c’est un processus compliqué, qui prend plusieurs mois.La pandémie nous a permis de concevoir de nouveaux produits. Au même moment, nous avons dû la refinancer, installer un nouveau logiciel de gestion et mettre en place des systèmes d’expédition internet, car nous sommes passés de 20 à 200 commandes quotidiennes. On a changé la configuration de l’entrepôt avec de nouvelles stations d’expédition instaurées en collaboration avec Fedex et UPS.On a même développé un désinfectant en trois semaines, en collaboration avec la distillerie Cirka, un fabricant de gin artisanal situé dans Ville-Émard, comme nous. Avec la pandémie, du jour au lendemain, ils avaient perdu leur marché dans la restauration et l’événementiel. Quelqu’un sur LinkedIn leur avait suggéré de nous contacter, et ça s’est rapidement enchaîné. Ils ont fait approuver leurs produits par Santé Canada. On a utilisé nos facilités d’embouteillage et notre réseau d’expédition. On en a même vendu aux Fermes Lufa. Le lot initial fut écoulé en un mois. Il a fallu renouveler la production trois fois. Avant la pandémie, je ne les connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Aujourd’hui, ce sont des amis pour la vie. C’est vous dire la force de l’achat local!
Q. Comment vois-tu le futur de ton entreprise?
On a connu une croissance inouïe sans que ce soit un fardeau financier : cette croissance fut extrêmement profitable. J’utilise donc ces fonds pour innover et financer la recherche et le développement de nouveaux produits et de nouveaux procédés d’emballage qui élimineront ceux en plastique.On va aussi mousser notre expansion américaine. En pleine pandémie, nous avons dû créer une filiale là-bas, même si nous étions débordés. Je n’avais pas le choix de poursuivre ce projet, car nous venions d’y investir.L’avenir en est un de croissance soutenue, avec de nouveaux produits. On a maintenant les moyens de nos ambitions.
Q. La Covid-19 a-t-elle éteint ou allumé ta flamme d’entrepreneur?
C’est certain que ça l’a allumée! Je me levais le matin et j’avais hâte d’aller au bureau et dire à mes clients qu’on avait des produits pour eux…En avril, j’ai ouvert la nouvelle saison de l’émission Les Dragons, en plein confinement. Ça a enflammé ma marque de commerce : je vendais du savon durant la covid! J’ai vécu une croissance incroyable.Pour un entrepreneur, une expérience comme ça arrive une fois dans une vie. Entrevue réalisée et écrite par Stéphane Desjardins.