Investissement responsable – La finance mondiale vire au vert!
Publié dans HEC Mag, novembre 2019On peut lire l'article ici.
PENDANT QU’AU CANADA, ON DÉBAT ENCORE DE LA PERTINENCE D’IMPOSER UNE TAXE CARBONE, BANQUES CENTRALES, FINANCIERS, ASSUREURS, ACTUAIRES, CHERCHEURS, ANALYSTES ET GESTIONNAIRES DE FONDS, DE CAISSES DE RETRAITE ET DE PORTEFEUILLES EN SONT DÉJÀ À LA PROCHAINE ÉTAPE : L’INVESTISSEMENT RESPONSABLE TRANSFORME PROGRESSIVEMENT LES ALGORITHMES FINANCIERS ET LES SALLES DE TRADING.
PERFORMANCE, PERFORMANCE, PERFORMANCE
L’investissement responsable s’étend-il des traders aux investisseurs individuels ? Pour Jason Taylor, l’assurance et la réassurance mondiales sont à l’avant-garde, parce qu’elles sont les plus exposées aux changements climatiques. Le marché de détail est toutefois à la traîne. « Il ne fait aucun doute que les facteurs ESG, surtout climatiques, présentent un risque substantiel, mais offrent aussi de belles occasions. Quand ils sont intégrés à un portefeuille, celui-ci performe généralement mieux, selon plusieurs études. »Financiers et analystes considèrent désormais l’ESG comme un signe de meilleure gestion, car il s’agit de critères plus difficiles à appliquer pour une entreprise. « Une société qui performe bien à ce chapitre brillera aussi selon des ratios plus conventionnels comme le ratio du rendement de l’avoir des actionnaires et celui de la marge de profit. »Un financier intègre l’ESG en appliquant des filtres négatifs (exclure tabac, alcool, jeu, armes à feu) ou des critères positifs (miser sur les plus performants), en tenant compte du momentum (les entreprises qui s’améliorent rapidement) ou en sous-pondérant les mauvais élèves. Certains adoptent aussi une stratégie controversée : miser sur les pires acteurs, car ils comptent sur leurs efforts d’engagement auprès de la haute direction pour influencer un changement de comportement systémique au sein de l’entreprise (surtout s’ils sont ciblés par l’activisme des actionnaires ou par des groupes de défense comme Climate Action 100+). Ces changements de comportement permettent alors aux financiers d’encaisser une prime de transition. Mais ces stratégies exigent de la patience, car elles requièrent des investissements importants.Les gestionnaires institutionnels accordent désormais des primes de risque par secteur économique. Dans son rapport intitulé Investing in a Time of Climate Change, Mercer évalue ainsi à 100 % la perte de valeur d’un investissement dans le charbon d’ici 2050 dans un scénario de réchauffement de 2°C et accorde une prime positive aux énergies renouvelables. Les fabricants d’automobiles, eux, vont bénéficier du virage vers la voiture électrique, un phénomène irréversible chez les milléniaux. La Norvège, dont le fonds souverain est alimenté par des pétrodollars, se désengage progressivement des sociétés pétrolières; d’ailleurs, la moitié des voitures vendues dans ce pays en 2018 étaient électriques.« Les financiers tiennent aussi de plus en plus compte de belles innovations comme le microcrédit, les fonds à impact et la finance sociale », souligne Jason Taylor.
LE RISQUE ET LE RENDEMENT
Pour certains, les changements ne sont pas assez rapides. « Dans le monde réel, un arbre fait partie d’un écosystème complet, explique Brenda Plant (M. Sc. Gestion internationale 2003), associée chez Ellio, une firme spécialisée en investissement responsable et développement durable. Malheureusement, encore trop de financiers n’y voient que du bois d’œuvre. Ainsi, hélas, une forêt a aujourd’hui encore plus de valeur morte que vivante », déplore-t-elle.De plus, la finance mondiale ne tient pas encore pleinement compte d’externalités comme le véritable coût de l’eau, de l’air, de la pollution et de leur impact sur la nature. « La finance fonctionne encore en silo pour fixer un prix, une valeur, précise l’experte. Et pourtant, il y a zéro déchet dans la nature, tout y est circulaire. Notre économie devrait donc l’être aussi. »Mais les temps changent, constate l’experte. Les grands groupes financiers sont désormais affectés par les externalités et ne peuvent miser sur une entreprise qui réalise des rendements élevés en gaspillant, en polluant massivement ou en maltraitant ses employés. Ces comportements nuisent au rendement des autres actifs. « La nature subventionne notre économie, dénonce-t-elle. On la considère comme une entreprise en liquidation. Il faut élargir notre conception de la valeur et pleinement comptabiliser la pollution, les inégalités sociales, le climat, la malbouffe et les autres risques. »Financer l’innovation et des solutions porteuses exige une infrastructure financière de soutien. L’une des initiatives les plus prometteuses est le mouvement « slow money », qui repose notamment sur la production alimentaire locale. C’est un des moyens les plus efficaces pour relever des défis liés au changement climatique, à la santé et à la résilience des communautés. Brenda Plant donne en exemple sa propre entreprise, Tottem Nutrition (Umamize), spécialisée dans l’élevage de grillons comestibles. « Le poids de notre poudre de grillons et son équivalent en viande rouge ne se comparent même pas, explique-t-elle. Notre produit offre deux fois plus de protéines que la viande, plus de fer que les épinards, aucun gras saturé, plusieurs vitamines intéressantes et, surtout, sa production laisse une empreinte environnementale négligeable. »
TOUT EST DANS TOUT
« On n’a pas d’autre choix que d’implanter une économie circulaire », soutient Olivier Gamache (B.A.A. 2002), PDG du Groupe investissement responsable, un leader québécois en matière de services-conseils extrafinanciers. Le plus petit de ses clients possède quelque 100 M$ d’actifs sous gestion. Pour cet expert de la première heure, l’ESG est passé d’un effet de mode à une préoccupation légitime motivée par la gestion du risque. « Les enjeux extrafinanciers sont devenus réels pour les entreprises, observe-t-il. On ne vise pas la décroissance ou la réforme du capitalisme : on tente simplement de remettre les priorités à la bonne place. »Pour Olivier Gamache, les ressources de la planète sont limitées, mais pas la créativité humaine. « Le consumérisme tel qu’on le connaît tire à sa fin et l’innovation entraînera des changements profonds, dit-il, mais les habitudes des entreprises et des investisseurs sont tenaces. Les premières hésitent à refiler la facture de cette transformation à leurs clients; les seconds acceptent les notions d’ESG tant qu’elles ne nuisent pas au rendement. »Or, l’ESG peut affecter le bilan d’une entreprise, tout comme les risques réputationnels, légaux et opérationnels. Une plateforme pétrolière qui explose ou une usine qui s’écroule dans un pays pauvre sont des risques qu’il faut gérer. La prime liée à l’environnement, à la gouvernance et aux enjeux sociaux est encore à fixer. « La finance mondiale a compris qu’on entre dans une ère de durabilisme que les portefeuilles doivent refléter, déclare-t-il.