Quelques arpents de neige ?

Publié dans Audencia Magazine, Nantes, France, hiver 2012, page 20

On peut lire l'article ici.

Canada

Quelques arpents de neige ?*

Voltaire pouvait-il prédire qu’un jour le Canada serait le 2e plus grand pays, la 11e économie mondiale, avec un PIB nominal de 1,3 billion d’euros et le 3e partenaire commercial européen ? Privilégier les Antilles sur la Nouvelle-France fut une bourde qui fait encore école au Québec. Rencontre avec des Français dont le succès désavoue la célèbre citation de Voltaire pour désigner la valeur économique du Canada.

Au Québec, véritable porte d’entrée du Canada et des États-Unis, on apprécie l’expertise des « cousins », qui s’installent en grand nombre non seulement à Montréal mais aussi à Toronto, Ottawa, Calgary, Vancouver ou Halifax.

Go West young man

Tel fut le choix de Manuel Sinor (GE93). Après avoir cumulé des expériences d’acteur et de professeur de français universitaire, il opte en 2000 pour le monde académique et part effectuer un doctorat en linguistique à l’Université de l’Alberta. « Je n’ai pas seulement eu le coup de foudre pour les grands espaces albertains. J’ai aussi trouvé un environnement de recherche exceptionnel, avec, parmi mes professeurs, des leaders mondiaux en psycholinguistique et phonétique expérimentales », explique-t-il. Forte de ses pétrodollars, la société albertaine sait attirer chercheurs, artistes, gestionnaires et financiers talentueux. Doctorat en poche, Manuel Sinor s’est néanmoins senti libre de renouer avec ses premières amours artistiques. En 2007, il se lance dans une carrière professionnelle d’acteur. « Les Canadiens sont tolérants envers les choix de vie et de carrière, et le Canada appuie formidablement ses entrepreneurs et ses créateurs », explique celui qui vient de tourner face à Gilles Lellouche dans Gibraltar, le prochain film de Julien Leclercq.

Ouverture, tolérance, vie facile Franck Descubes (GE02) est un ex-haut dirigeant de la Banque nationale du Canada devenu conseiller stratégique, il y a quelques semaines, au mouvement Desjardins, une banque mutualiste de 5,6 millions de membres, dont les actifs totalisent 146,7 milliards d’euros. Il apprécie avant tout la simplicité du quotidien québécois, libéré de la bureaucratie à l’européenne. Sa liste d’exemples s’étire : « Pas besoin d’obtenir de caution de vos grands-parents pour louer un appartement, les slips1 de paie sont électroniques et tiennent sur trois lignes intelligibles, les impôts sont retenus à la source, pas de savants calculs fiscaux à faire, une seule photo suffit pour le permis de conduire et la carte d’assurance-maladie, pas d’attente au cinéma… »

Ce dernier est arrivé au Québec à la suite d’un stage à Paris pour Secor, une firme de conseils stratégiques en gestion qui a du prestige au Québec. Il a émigré à Montréal à l’âge de 26 ans et a fini par y fonder une famille. Il apprécie la gentillesse et la serviabilité des Québécois qui, sur le plan professionnel, valorisent l’individu et non la fonction. « On conserve un accès souvent direct avec le patron et on peut dîner avec lui sans passer par ses deux adjoints. La culture, ici, est nord-américaine, pas française. On a confiance en l’avenir. Et lorsqu’on vous confie des responsabilités supplémentaires, on augmente aussi le salaire, parfois substantiellement. »

Plus de 3 700 km à l’ouest, Vincent Bernard-Crespin (GE04) apprécie avant tout les montagnes qui se jettent dans la mer, tout autour de Vancouver. Après l’Australie, il a obtenu un poste de directeur financier à la Kootenay Savings Credit Union. Il loue le caractère humain de cette grande ville où la température lui rappelle son Nantes d’origine.

Grands espaces

Cécile Lecoq (GE07) retient les mêmes arguments : « Le vaste parc de la Gatineau s’étend jusqu’en ville, avec ses forêts sauvages, ses lacs, ses castors et ses chevreuils. Les gens sont perpétuellement de bonne humeur. Et les employeurs vous font rapidement confiance », explique l’analyste marketing à la Commission de transport de l’Outaouais, basée à Gatineau, ville voisine d’Ottawa, où elle a étudié. « L’engagement, ici, n’a rien à voir avec le volume de travail, dit-elle. L’équilibre travail/famille est primordial. Il n’y a pas de sens de la hiérarchie. » Elle retient que les premiers postes qu’un Français se dénichera au Canada ne seront pas forcément prestigieux. Mais, éventuellement, un employeur offrira rapidement des conditions souvent supérieures à la moyenne de ce qu’on peut obtenir dans l’Hexagone. #

Stéphane Desjardins, Montréal

Encadrés

La France au Canada, c’est 500 sociétés (400 au Québec), parmi lesquelles de grands noms comme Ubisoft, Alstom, Air Liquide, Danone, L’Oréal, Veolia, BNP Paribas, Axa, Michelin, Hachette, Sanofi-Aventis, Sodexo ou Lafarge. Elles se sont surtout installées au Québec mais aussi en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, sur fond d’échanges avec les États-Unis et l’Asie, et d’exploitation des sables bitumineux de l’Arthabasca, 2e gisement pétrolier du monde après ceux de l’Arabie saoudite, ou de boom minier. Toronto est la première bourse des ressources au monde, mais Montréal est un leader des marchés financiers dérivés en Amérique du Nord. La France est aussi le 8e partenaire commercial du Canada, le 4e investisseur étranger en terre canadienne (2e au Québec) et le 10e client du Canada. Au-delà des chiffres, il existe une véritable histoire d’amour entre la France et le Québec, qui s’échangent leurs stars de l’économie, du cinéma et de la chanson. TV5 cartonne au Québec. Et il y a un véritable pont aérien entre Montréal et Paris. En 1960, le taux de natalité des Québécois était l’un des plus élevés au monde. Aujourd’hui, il s’apparente à celui des Japonais. Conséquence : les Français sont accueillis à bras ouverts et sont 150 000 établis au Canada, dont 100 000 à Montréal. Chaque année, 3 500 émigrent et 14 000 jeunes de 18 à 35 ans multiplient études supérieures et stages. Une véritable French Connection au pays de Félix Leclerc et de Céline Dion.

La France au Canada

Nos diplômés ont du talent

Direction le Québec…

Valérie Garot (GE03) est manager marketing chez L’Oréal pour le Canada. Il y a quelques mois, elle débarquait à Montréal pour suivre son mari. Son expérience canadienne l’enchante. Elle est fascinée par les « deux solitudes », une réalité très canadienne de deux peuples qui partagent pacifiquement un pays mais pas le même espace culturel et mental. « Je suis étonnée par les différences profondes entre Québécois et Canadiens anglais. Les habitudes de consommation, la langue, la culture, les attentes et attitudes face à la vie ne sont pas les mêmes. Ce sont deux pays en un seul. » Elle s’amuse aussi de ces contrastes dans les relations professionnelles : « Les Québécois plaisantent constamment quand ils discutent business. Ils sont très chaleureux dans leurs rapports. Les Anglophones, eux, vont droit au but. Ils sont plus froids. » Avec ses deux enfants en bas âge, Valérie Garot apprécie aussi la culture très famille des Québécois. « Les gens prennent le temps d’organiser leur vie et personne n’est outré parce qu’on quitte à 17 h pour s’occuper de notre marmaille. Au contraire, c’est valorisé. »

Une qualité de vie imbattable

Qui prend mari prend pays. C’est le choix d’Annick de Vries (SciencesCom 86), lorsqu’elle suit son amour de jeunesse à Montréal en 1989. Avec lui, elle fonde rapidement une compagnie d’import-export de films et d’émissions de télé, Mégamax International. Pendant une décennie, elle voyage de par le monde, pour importer au Canada des productions réalisées surtout en Europe. Elle fait notamment connaître M Bean aux Canadiens. Séparation oblige, elle lance sa propre compagnie, Kondolole Films, une boîte de production de documentaires pour enfants et adolescents. Annick de Vries loue la grande ouverture des Québécois. « Pour faire des affaires, c’est facile. Tout est plus direct qu’en Europe, dit-elle. Même si j’envie un peu mes collègues européens, qui sont davantage subventionnés qu’ici. D’autant plus que le marché francophone, en Amérique du Nord, est minuscule ; moins d’une dizaine de millions sur 300 millions d’anglophones. Mais la qualité de vie de Montréal est imbattable. C’est une ville culturellement très dynamique et la vie si près de la nature, c’est inestimable. » Mère de deux grands ados, elle n’habiterait pas ailleurs qu’au Québec !

 

* «  Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada ne vaut. » - Voltaire

 

France au Canada - en quelques chiffres

1 500 entreprises dont 65 % des PME

80 000 employés

75 % des sièges sociaux situés au Québec

 

Principaux secteurs :

aérospatiale

agroalimentaire

hôtellerie

pharmacie

restauration

environnement

énergie

mines

TI

multimédia

 

2,1 milliards d’Euros

Exportations françaises vers le Québec en 2011

Précédent
Précédent

Moins de conflits de travail au Québec

Suivant
Suivant

Mission possible?